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LES CONCESSIONS SONT TOUJOURS PALESTINIENNES

Arafat, et après ? 
 
L'intégralité du débat avec le sociologue Edgar Morin, lundi 8 novembre.  
 
AAA : La succession devient-elle plus importante qu'administrer les territoires ou reprendre le dialogue avec les Israéliens ? 
 
Edgar Morin
: Elle semble une condition de l'un et de l'autre. 
 
Yvan : Le Hamas peut-il, avec une disparition d'Arafat, prendre le pouvoir ? 
 
Edgar Morin
: Dans les conditions actuelles, non.  
 
Mat.ScP : Le comportement de Mme Arafat ne va-t-il pas enflammer le débat sur la succession de son mari ? 
 
Edgar Morin
: C'est ce qui semble déjà se passer. 
 
 
"M. BARGHOUTI POURRAIT ÊTRE LE MANDELA PALESTINIEN" 
 
Curieux
: Parmi les prétendants plus ou moins déclarés, qui selon vous est le plus à même de continuer la lutte pour l'indépendance ? 
 
Edgar Morin : Franchement, je ne vois pas. C'est peut-être M. Barghouti, qui est emprisonné à vie actuellement en Israël. Mais ce n'est qu'une supposition de ma part.  
 
Lamalif : Marouane Barghouti est-il, à vos yeux, le Nelson Mandela palestinien ? 
 
Manu : Une libération de Marouane Barghouti est-elle envisageable ? 
 
Edgar Morin
: M. Barghouti pourrait être le Mandela palestinien. Mais sa libération dépendrait de la volonté, de l'intelligence politique du gouvernement israélien. Dans quelle mesure celui-ci peut-il continuer la politique du Grand Israël et trouver divers prétextes pour éviter la reconnaissance d'une nation palestinienne dans les territoires ? S'il veut continuer, il trouvera tous les prétextes pour continuer dans la politique de la constitution du Grand Israël, qui finirait par avaler la Cisjordanie. 
 
Fab : Le nouveau président palestinien, quel qu'il soit, aura-t-il la légitimité politique pour imposer à son peuple le compromis avec les Israéliens qu'Arafat n'a pas su ou voulu imposer, malgré tout son prestige ? 
 
Edgar Morin : Le problème à mon avis ne s'est pas posé ainsi puisqu'il n'y a pas eu d'accord de compromis. Le problème de savoir si Arafat a pu l'imposer ne se pose donc pas. De toute façon, je pense que la solution de compromis devrait être posée à une minorité, qui la refuse, et non à l'ensemble d'une population. Je pense qu'après tellement d'épuisement, de guerre, il peut y avoir une soif de paix qui peut permettre l'adoption d'une solution de compromis. A mon avis, la solution est claire depuis toujours, c'est ce que demande l'Autorité palestinienne : Gaza, la partie palestinienne de Jérusalem, le démantèlement des colonies et c'est le principe d'un droit au retour qui ne signifie pas le retour de tous les réfugiés, mais la reconnaissance que la population palestinienne a été lésée. Et, bien entendu, cela doit être négocié et modulé entre les deux parties. 
 
AAA : Quels sont les obstacles que vont rencontrer les futurs leaders palestiniens ? 
 
Edgar Morin
: Cela va être à la fois de s'entendre entre eux, d'établir un ordre légal dans les territoires palestiniens, de rétablir un système qui a été entièrement détruit par Israël, et enfin de négocier avec un adversaire extrêmement exigeant. 
 
Charly : Quel poids aura le gouvernement israélien actuel dans la succession d'Arafat ? 
 
Edgar Morin
: Il essaie de peser de toutes ses forces. Je ne saurais mesurer ce poids. 
 
Michel : Les futurs responsables palestiniens pourront-ils développer la démocratie à Gaza ? 
 
Edgar Morin
: Je l'espère. Je ne peux pas répondre, n'étant pas prophète. 
 
Dummy : Quel serait le choix d'Israël s'il pouvait choisir un successeur à Arafat ? 
 
Edgar Morin
: Un successeur à sa botte, évidemment... 
 
Nel : Quelle légitimité pourra revendiquer ce successeur ? Un vote des Palestiniens est-il entièrement à exclure ? 
 
Edgar Morin
: Dans les conditions actuelles, on ne voit pas comment organiser un vote. Celui qui a permis l'élection d'Arafat est un vote autour du titre de président. Il est possible que ce soit une direction collégiale. Je crois que, dans les conditions actuelles, le vote est du ressort des instances existantes, du Parlement et de l'OLP. De toute façon, les successeurs doivent trouver une légitimité à partir des institutions existantes. 
 
 
"IL FAUDRAIT QUE LES LIEUX SAINTS RELÈVENT D'UNE PROTECTION INTERNATIONALE" 
 
Ancien_belge : Le partage à faire achoppera encore longtemps sur deux points : la possession des ressources d'eau et les lieux saints communs. Seuls des laïques peuvent résoudre le deuxième point. Qu'en pensez-vous ? 
 
Edgar Morin
: Je suis d'accord parce que la question des lieux saints est inconciliable du point de vue de religions qui prétendent avoir le monopole de la révélation religieuse. Chacune pose en absolu en droit. Et il est certain que seul un point de vue laïque pourrait poser le principe de la destination de ces lieux saints. Ceux-ci sont multiples, car il y a les lieux saints du judaïsme, ceux de l'islamisme, ceux du christianisme. Dans l'idéal, il faudrait que ces lieux saints échappent à l'autorité nationale et d'Israël et du futur Etat palestinien et qu'ils relèvent en quelque sorte d'une protection internationale. Cela n'est évidemment qu'un souhait. Je suis d'accord aussi pour la question de l'eau. C'est un problème qui permet à Israël de contrôler l'avenir des territoires palestiniens. 
 
Dummy : Yasser Arafat est désigné comme le "principal obstacle à la paix" par Israël et les Etats-Unis. Comment son successeur pourrait-il échapper au même jugement ? 
 
Edgar Morin
: Quand on veut éviter le règlement qui consacrerait effectivement la constitution d'une nation palestinienne avec un Etat, le prétexte invoqué c'est qu'il n'y a pas d'interlocuteur. C'est le prétexte invoqué par Sharon. De toute façon, l'interlocuteur c'est toujours celui à qui l'on a affaire dans le camp opposé. On peut renouveler le prétexte pour continuer dans le sens que nous connaissons. 
 
Zara : Pensez-vous que le second mandat de George W. Bush sera plus profitable à la création d'un Etat palestinien ? 
 
Edgar Morin
: A mon avis, c'est une possibilité, mais pas une probabilité. Pourquoi ? Parce que le père Bush a contraint les dirigeants israéliens à négocier avec l'Autorité palestinienne après la guerre du Koweït, et je pensais que peut-être G. W. Bush pourrait aller dans ce sens-là. Mais je pense que les conseillers actuels de Bush, c'est-à-dire les néoconservateurs, vont tout à fait dans le sens "sharonien". S'il y avait un changement significatif parmi les conseillers de George W. Bush, il y aura peut-être une indication dans ce sens. Mais quels conseillers G. W. Bush gardera-t-il ? On ne sait pas dans quelle mesure il a compris combien il est important pour les Etats-Unis de soigner ce foyer d'infection qui contamine le Moyen-Orient et toute la planète. S'il y a cette prise de conscience, peut-être pourra-t-on aller dans le sens indiqué. 
 
AAA : Aux derniers jours d'Arafat en France allons-nous voir succéder les premiers jours d'une influence plus grande sur le processus de paix de la France ou de l'Europe ? 
 
Edgar Morin
: Là aussi, je pense que ce serait souhaitable, mais rien n'est moins certain. 
 
Mat.ScP : L'accueil d'Arafat en France ne va-t-il pas encore dégrader l'idée qu'ont les juifs de la France ? 
 
Edgar Morin
: Les juifs, c'est une formule vraiment trop générale. Ceux des juifs pour qui il n'y a pas de sentiment d'hospitalité pour un malade ne sont pas contents. Mais je pense que beaucoup pourront le comprendre. 
 
 
QUE LÈGUE YASSER ARAFAT À SES SUCCESSEURS ?  
 
Zovi : Peut-on parler d'un premier bilan d'Arafat ? Que lègue-t-il à ses successeurs ? 
 
Edgar Morin
: Ce qu'il lègue, c'est l'existence d'une Autorité palestinienne, c'est l'idée acceptée, tout au moins en paroles, par les Etats-Unis inclus, de la nécessité d'un Etat national palestinienne. Il est un peu comme un Moïse qui ne verra pas la terre promise, mais qui en porte le message. Bien entendu, il lègue aussi beaucoup de difficultés. 
 
Mateo : Le refus violent du gouvernement israélien de voir enterrer Yasser Arafat à Jérusalem peut-il être une source de violences supplémentaire ? 
 
Stanislas : Quelles pourraient être les conséquences liées au lieu où serait enterré M. Arafat ? 
 
Edgar Morin
: Je crois que ce serait une source de ressentiment supplémentaire, parce que laisser au pouvoir israélien le choix du lieu d'enterrement de cet homme d'Etat palestinien a quelque chose de méprisant, je dirais même d'affreux. Mais cela provoquera-t-il des violences ? Je n'en sais rien. De toute façon, le lieu où sera enterré Arafat aura sans doute une importance symbolique. Si Arafat était enterré sur l'esplanade du Temple, évidemment ce serait un symbole fort de l'identité nationale palestinienne et un symbole fort du sens de son action. Mais à supposer qu'il soit enterré en exil, en France par exemple, ça pourrait être un peu comme le cas de Napoléon, qui fut enterré à Sainte-Hélène. Les mauvais traitements infligés à Napoléon par ses geôliers ont contribué à grandir sa légende, sa popularité. Et, finalement, c'est sous le roi Louis-Philippe que les restes de Napoléon sont rentrés en France, aux Invalides. Quel que soit le lieu d'enterrement d'Arafat, cela prendra un sens très fort. 
 
Roger2004 : Historiquement, comment sera jugé M. Arafat ? A qui sera imputée la responsabilité de la seconde Intifada : à M. Sharon ou à M. Arafat ? 
 
Edgar Morin
: La seconde Intifada s'est produite avec le pourrissement d'une situation historique dans laquelle aussi bien Sharon qu'Arafat ont joué leur rôle. Et quant au jugement historique, c'est l'histoire future qui va le faire. 
 
 
"LÀ OÙ CROÎT LE PÉRIL CROÎT AUSSI CE QUI LE SAUVE" 
 
Laurent : Et si les travaillistes revenaient au pouvoir en Israël ? 
 
Edgar Morin
: Je pense que si les travaillistes revenaient au pouvoir en Israël, il y aurait un espoir de reprise des négociations interrompues. Ce serait une ouverture. Car les travaillistes, eux, acceptaient le principe d'un Etat national palestinien. 
 
Manu : Avec l'émergence de l'extrême droite israélienne et la radicalisation de la résistance palestinienne, ainsi que le pouvoir croissant des fondamentalistes chrétiens aux Etats-Unis, êtes-vous néanmoins optimiste vis-à-vis de l'avenir du Proche-Orient ? 
 
Edgar Morin
: Non, car la situation a pourri depuis l'assassinat de Rabin, justement dans le sens où se sont développées les trois forces que vous indiquez : les fondamentalistes israéliens, les fondamentalistes du Hamas et les fondamentalistes évangélistes. Il y a un cercle vicieux où chacune de ces trois forces développe les autres forces antagonistes. Normalement, je dirais que nous allons vers une catastrophe historique. Mais, comme je l'ai dit, il y a quand même une possibilité improbable que l'on prenne conscience du désastre vers lequel on va et qu'il puisse y avoir un espoir, je le répète, improbable. Comme le dit Holderlin, là où croît le péril croît aussi ce qui le sauve. 
 
Todoism : Voyez-vous Israël comme une théocratie ? 
 
Edgar Morin
: Non, c'est quelque chose d'hybride où effectivement la religion joue un très grand rôle. Mais théocratie, c'est aller un peu loin. Qu'il y ait des partis théocratiques, c'est sûr. Que des juifs soient des citoyens privilégiés et qu'il y ait un contrôle de leurs relations avec les non-juifs, c'est sûr, mais parler de théocratie, c'est aller trop loin. 
 
Mat.ScP : Tout rejeter sur Sharon c'est un peu facile, non ? 
 
Edgar Morin
: Bien entendu, mais il s'agit de voir que la politique du Likoud est une politique qui n'a jamais accepté les accords d'Oslo. Elle a toujours soutenu le Grand Israël. C'est vrai, il ne faut pas en rendre un seul homme responsable. Mais il y a une inégalité fondamentale de force entre le pouvoir militaire d'Israël et celui de l'Autorité palestinienne. Il y a eu une nette inflexion de la politique quand le gouvernement est passé du travaillisme au likoudisme. 
 
Bossuet : N'y a-t-il pas dans votre façon de renvoyer les deux antagonistes dos-à-dos une certaine hypocrisie ? Le refus de trancher apparaît plutôt comme une façon de rester politiquement correct. Tout comme votre façon d'esquiver les réponses sur le véritable rôle d'Arafat. 
 
Edgar Morin
: Je me suis bien exprimé dans différents articles, dans Le Monde notamment. J'ai été même poursuivi en justice. Moi, j'essaie de voir les deux aspects des choses. Ce que je condamne, c'est l'occupation israélienne, mais j'essaie de comprendre aussi la situation historique des Israéliens. On peut me taxer d'hypocrisie si l'on veut. Je vous renvoie donc notamment à mon article intitulé "Le cancer", paru dans Le Monde. 
 
Omso69 : Comment voyez-vous le contraste entre la politique étrangère française, qui est plutôt jugée pro-arabe et la montée d'une certaine islamophobie en France ? 
 
Edgar Morin
: Il arrive souvent qu'il y ait un contraste entre une politique internationale et des sentiments vécus par une partie des nationaux. C'est vrai qu'il y a une montée de l'islamophobie, de la judéophobie aussi, et je crois que ces montées sont nourries par la poursuite de la tragédie israélo-palestinienne. Et c'est la fin du conflit israélo-palestinien qui pourra atténuer la judéophobie et l'islamophobie. 
 
Mac_Clane : Ne pensez-vous pas que le drame de ce conflit est qu'il est devenu un symbole et qu'il est difficile de parler sereinement d'un symbole ? 
 
Edgar Morin
: On peut essayer de parler sereinement de tout. A mon avis, il est difficile de parler sereinement à des personnes qui ont des certitudes absolues. Mais, un symbole, on peut en parler. Bien entendu, c'est le symbole des relations entre l'Ouest et l'Est, entre les religions. Mais il faut essayer de penser ce problème dans toute sa réalité. Et si on le pense correctement, on peut en parler clairement.  
 
Chat modéré par Constance Baudry et Stéphane Mazzorato 
 
Sources : Lien vers http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-386307,0.html>

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Modifié en dernier lieu le 13.11.2004
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