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LE CHOIX DES ARMES POUR SA CAUSE

 
 
Guérillero, exilé, négociateur, chef d’Etat sans Etat...  
 
Visages d’un combattant 
 
De Beyrouth à Ramallah en passant par Tripoli, Tunis et Gaza, René Backmann a été le témoin de plusieurs moments importants de la vie du chef de l’OLP puis du président de l’Autorité palestinienne. Extraits de ses carnets de reportage  
 
Beyrouth, juillet 1982  
«Aujourd’hui, le monde entier nous regarde» 
Mais où dort-il? Comment fait-il pour recevoir les informations de ses commandants, transmettre ses ordres, rester en contact avec le reste du monde? En ces journées de fer et de feu de la fin juillet 1982, les journalistes installés à Beyrouth-Ouest, pour couvrir le siège de la ville par l’armée israélienne et ses alliés phalangistes, se posaient tous les mêmes questions sur Arafat. Comment faisait-il simplement pour vivre dans cet enfer, échapper aux bombes, aux missiles et aux obus? Depuis plusieurs jours, les raids aériens se succédaient. On en était ce jour-là au huitième en moins d’une semaine. Dans le quartier de Raouche, près de la résidence du Premier ministre Chafik Wazzan, un immeuble de sept étages dans lequel des dizaines de familles de Palestiniens avaient trouvé refuge était frappé de plein fouet par une bombe israélienne: 84 morts. «Douze heures de démence», avait titré le lendemain «l’Orient–le Jour», le grand quotidien francophone de Beyrouth. 
Combien de temps allait durer cette folie? Combien de temps Arafat, ses combattants et ses alliés libanais allaient-ils pouvoir tenir, dans cette demi-ville de 500000 habitants, séparée du reste du Liban par un front de 10 kilomètres et cernée par 35000 hommes, 300 chars et 200 canons? Nous étions une demi-douzaine à poser cette question à l’un des porte-parole de l’OLP, dans le sous-sol d’un immeuble du quartier Fakahani, lorsque Arafat était arrivé à bord d’un gros 4x4 américain, entouré d’un groupe de combattants. Ses gardes du corps avaient fermé toutes les portes derrière lui et interdit à quiconque de sortir pendant qu’il était là. 
 
 
Coiffé d’une casquette vert olive portant l’emblème de la branche militaire du Fatah, vêtu d’un pantalon kaki et d’une sorte de saharienne, armé d’une kalachnikov qu’il avait posée près de lui, Arafat n’avait pas répondu à nos questions mais expliqué en souriant qu’il avait rêvé longtemps de cette situation: «Cette fois, Sharon est pris à son propre piège. Il est devenu notre meilleur agent de publicité. Aujourd’hui, le monde entier, de Reagan à Mitterrand, nous regarde et s’efforce de trouver une solution au problème palestinien. Alors pourquoi céder, sortir de Beyrouth? Je sortirai lorsqu’on me proposera une solution politique et des garanties. J’insiste sur les garanties. S’ils nous massacrent, ce sera un tollé dans le monde entier. Même les régimes arabes qui nous ignorent seront obligés d’intervenir. Ils ne pourront pas nous laisser massacrer, car ils savent très bien qu’ils n’y survivraient pas. Donc nous avons décidé de tenir tant que nous n’obtenons rien.» Après quoi il nous avait remerciés d’être là, souhaité bonne chance et avait disparu dans l’escalier. Pour des raisons de sécurité, son escorte nous avait demandé d’attendre une dizaine de minutes avant de sortir à notre tour, «au cas où il y aurait eu parmi vous un espion à la solde des Israéliens»... 
Ses compagnons de combat ont raconté plus tard qu’entre deux rencontres furtives avec des journalistes ou des visiteurs étrangers, le chef de l’OLP vivait pratiquement dans ses voitures pendant le siège de Beyrouth-Ouest, dormant dans des parkings souterrains, des sous-sols d’immeubles, des garages, sans jamais rester plus de quelques heures au même endroit. 
Quelques semaines après cette rencontre, le 21 août, les premiers éléments de la Force multinationale arrivaient à Beyrouth pour protéger l’évacuation de Yasser Arafat et des combattants palestiniens. Et du 16 au 18 septembre, sous les yeux de l’armée israélienne, les miliciens phalangistes investissaient les camps de réfugiés de Sabra et Chatila et massacraient près de 2000 civils palestiniens, femmes, enfants et vieillards. 
 
Tripoli, décembre 1983 
L’exilé de l’«Odysseus Elitis» 
«Jamais comme maintenant je n’ai ressenti que nous étions un peuple sans patrie.» Son talkie-walkie à la main, Abou Jihad, chef militaire de l’OLP, l’un des plus vieux compagnons de combat d’Arafat, vêtu de son habituelle parka vert olive, parcourait ce matin-là le quai n° 2 du port libanais où cinq ferries grecs avaient commencé à embarquer les combattants palestiniens de Tripoli. Trois mois après avoir réussi à s’infiltrer, depuis Larnaca, dans la grande ville du Nord-Liban, pour prendre la tête de ses combattants et de leurs alliés libanais assiégés dans Tripoli par l’armée syrienne et les dissidents palestiniens d’Abou Moussa, Yasser Arafat était contraint, pour la deuxième fois en seize mois, de quitter le Liban. L’année précédente, plus de 10000 combattants s’étaient embarqués à Beyrouth sous la protection de la Légion étrangère française et des marines américains. Cette fois, ils n’étaient plus que 4000 à se presser sur ce quai délabré derrière le chef historique d’une OLP déchirée. Au large, une dizaine de navires de guerre français, autour du porte-avions «Clemenceau» et de la frégate lance-missile «Suffren», s’apprêtaient à escorter les exilés vers la haute mer. 
En attendant d’embarquer lui aussi à bord de l’«Odysseus Elitis», Yasser Arafat patientait, abattu, dans la petite maison ottomane où il avait élu domicile, près du port de pêche. Devant la porte, sa grosse Wagoneer blanche était prête à partir. Les deux valises marron qui ne le quittaient jamais étaient empilées à l’arrière, sous des couvertures, avec la petite horloge en forme de globe terrestre qui trônait sur son bureau, dans son QG de Zaharieh. 
Lorsqu’on le prévint que le moment était arrivé, le chef de l’OLP, en tenue militaire, s’engouffra entre deux haies de gardes du corps dans sa voiture, sans un mot, sans un dernier discours, sans le moindre sourire devant les journalistes qui avaient été ses compagnons de siège pendant trois mois. Et la Wagoneer fut avalée par l’«Odysseus Elitis». Sur la route du retour vers Beyrouth, les soldats syriens qui tenaient les check-points interrogeaient les journalistes: «Ça y est, ils sont partis? Revenez demain, vous allez voir, maintenant, on va liquider les amis d’Arafat.» 
 
Tunis, avril 1984 
«Oui à la reconnaissance mutuelle d’Israël et de la Palestine » 
Même ici, dans ce salon cossu d’une villa voisine de Sidi Bou Saïd, gardée par deux flics tunisiens débonnaires, où il s’était installé, Yasser Arafat, l’exilé, s’était habillé en soldat. Pantalon beige, chemise et parka kaki, revolver à la ceinture. Quatre mois après avoir quitté Tripoli sous bonne escorte et réussi à se réconcilier avec l’Egypte, c’est encore en chef de guerre autant qu’en président d’un mouvement de libération en exil qu’il s’exprimait. «Renoncer à la lutte armée? A ma place, vous y renonceriez? Contre l’occupation de notre terre, nous avons le droit – ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Charte de l’ONU – d’utiliser tous les moyens, y compris les moyens militaires. Vous le savez, vous étiez à Beyrouth pendant le siège, l’armée israélienne n’est pas une armée d’opérette. C’est la plus puissante du Moyen-Orient. Elle dispose, grâce aux Américains, du matériel le plus moderne, le plus sophistiqué. Elle en a même expérimenté une partie contre nous. C’est vrai que nous avons perdu 82000 hommes – morts et blessés au Liban, dont 2000 à Tripoli. C’est énorme. Mais nous avons fait face. 
Le chroniqueur militaire israélien Zeev Schiff vient d’écrire dans la revue de l’armée un article sous le titre "La surprise palestinienne". Oui, notre résistance a été une surprise. Et les Israéliens ont eu plus de pertes que prévu. Ce que j’espère, c’est que notre résistance, avec ce qui se passe aujourd’hui au Liban, va leur ouvrir les yeux. En employant comme ils l’ont fait l’extrême violence, parce qu’ils ne veulent pas de solution négociée du problème palestinien, ils ne peuvent que susciter l’extrême violence. Le volcan n’est pas près de s’éteindre. Regardez ce qui s’est passé à Beyrouth avec les attentats contre les soldats américains et français. En ne croyant qu’à la force, les Israéliens mènent cette région au désastre. Moi, je ne vois pas l’avenir ainsi. Si je suis prêt à me battre, si je me bats, c’est pour arracher aux Israéliens une négociation directe, sous l’égide de l’ONU, avec comme bases les résolutions de l’ONU. 
– Vous seriez prêt à reconnaître Israël? 
– Je suis pour une reconnaissance mutuelle de deux Etats: la Palestine et Israël. Vous pouvez l’écrire.» 
 
Tunis, décembre 1987 
«Non, nous ne sommes pas dépassés par l’Intifada...» 
Depuis un an, la révolte des pierres, l’Intifada, née dans le camp de Jabaliyah, à Gaza, d’un banal accident d’auto, embrasait les territoires occupés. Surprise et d’abord dépassée par ce soulèvement venu d’en bas, organisé par des comités locaux où coexistent islamistes du Hamas et militants du Fatah, l’OLP s’efforçait non sans mal de prendre le contrôle de cette insurrection qui voyait des enfants et des adolescents armés de pierres et de bâtons affronter la plus puissante armée du Proche-Orient et jeter le trouble dans les certitudes israéliennes. A New York, le Conseil de Sécurité des Nations unies venait d’adopter la résolution 605, qui «déplor[ait] fortement les pratiques israéliennes dans les territoires occupés». 
Dans le salon de sa villa de Gammarth, près de Tunis, où des combattants qui avaient pris quelques kilos depuis Beyrouth allaient et venaient, apportant le thé, le café et des pâtisseries orientales, Yasser Arafat, qui avait troqué sa casquette de soldat contre le keffieh légendaire, semblait irrité par mes réponses à ses questions sur ce que j’avais, quelques jours auparavant, vu à Gaza et en Cisjordanie. «Non, non, nous ne sommes plus dépassés. Je ne nie pas qu’à l’origine le mouvement ait été spontané, comme vous l’avez constaté, mais il s’agit désormais d’une opération synchronisée entre les organisations locales et le Comité exécutif de l’OLP. Un mouvement spontané n’aurait pas pu durer aussi longtemps. D’ailleurs, nous avons déjà remporté une victoire, c’est ce morceau de papier», expliquait-il, en brandissant une copie de la résolution 605. «Chez les Israéliens, les choses bougent. Je vais vous faire une révélation: je viens de recevoir une lettre du député israélien Arieh Hess, signée par douze membres du Parti travailliste. Dans ce texte, Hess et ses amis expriment leur réprobation pour ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie et évoquent en détail la création d’une confédération israélo-palestinienne. C’est une idée qui m’intéresse, je suis prêt à en parler avec eux. 
– Quel serait le statut de Jérusalem dans cette confédération? Une ville coupée en deux, comme Berlin? 
– Pourquoi pas? 
– Berlin, ce n’est quand même pas un précédent très heureux? 
– Mais c’est un précédent qui existe déjà depuis plus de quarante-cinq ans. Et puis, si la division de Jérusalem nous aide à obtenir la paix, pourquoi pas?» 
 
Bande de Gaza, juillet 1994 
«Un regard que ses amis n’avaient jamais vu»  
Que s’est-il passé, à cet instant, dans la tête de Yasser Arafat? Il venait de quitter sa Mercedes blindée et, silhouette frêle, à peine visible au milieu de ses gardes du corps ballottés par la cohue, il foulait pour la première fois depuis vingt-sept ans le sol de la Palestine lorsque, tout à coup, des dizaines de mains l’ont soulevé au-dessus des têtes de ses soldats. Et son regard, d’habitude perçant et malicieux, s’est alors brutalement figé tandis qu’il flottait comme un naufragé au milieu des hurlements de joie. Ce regard, celui d’un homme submergé par l’émotion ou l’incrédulité, ceux qui connaissent Arafat ne l’avaient jamais vu. Pendant quelques secondes, le vieux guérillero rusé, le politicien théâtral expert en fausses manœuvres et en volte-face, le «terroriste» mué en négociateur s’était éclipsé derrière un personnage inconnu: l’exilé de retour parmi les siens après un quart de siècle d’errance. 
Ensuite, tout était rentré dans l’ordre. Autrement dit, le retour historique s’était déroulé comme on pouvait l’imaginer dans l’improvisation, la précipitation, les cris et la bousculade qui caractérisent les apparitions publiques du chef de l’OLP. Et, comme toujours en Palestine, après l’émotion patriotique, les querelles s’étaient rallumées et les critiques avaient commencé à fuser. «Il est rentré trop tard, constataient ceux qui auraient voulu le voir arriver avec les combattants de l’Armée de Libération de la Palestine, il y a deux mois. Il aurait dû partager notre joie lorsque nous avons accueilli nos soldats, lorsque nous avons vécu notre dernière nuit de couvre-feu...» «Il est rentré trop tôt, protestaient les militants du FDLP, du FPLP et des organisations islamiques armées, opposées à l’accord Gaza-Jéricho signé avec Israël. Des milliers de nos frères sont encore détenus. L’armée israélienne continue d’occuper notre terre, nous n’avons toujours pas d’Etat et il n’a obtenu aucune garantie sur l’arrêt de la colonisation. Les choses vont vite devenir difficiles pour lui.» 
 
Gaza, novembre 1995 
«La mort de Rabin a été pour moi un choc terrible...» 
Il avait changé. En quelques mois, Yasser Arafat semblait avoir pris des années. Son visage était blême, ses mains tremblaient, il semblait avoir du mal à trouver ses mots en anglais et demandait sans cesse de l’aide. Tout à l’heure, l’un de ses proches collaborateurs m’avait prévenu: «Pour lui, la mort de Rabin il y a deux semaines a été une épreuve très rude. Ils n’étaient pas proches mais Abou Ammar avait confiance dans Rabin. Il pensait qu’il était homme à tenir sa parole. Et il partageait sa vision de la situation: il faut lutter contre le terrorisme comme s’il n’y avait pas de processus de paix, et respecter le processus de paix comme s’il n’avait pas de terrorisme.» 
Arafat l’avait lui-même admis: «Oui, c’est vrai, la mort de Rabin a été pour moi un choc terrible. Pas seulement parce qu’il s’agit de la disparition de mon partenaire, l’homme avec qui j’avais enfin conclu la paix des braves, avec qui j’ai obtenu il y a un an le prix Nobel de la paix, mais surtout parce que cet assassinat nous rappelle à tous que les fanatiques, en Israël comme chez nous, sont prêts à tout pour saboter la négociation et faire échouer le processus de paix. Hier, l’organisation qui avait menacé de tuer des Palestiniens et des Israéliens pour mettre un terme au processus de paix pendant que nous étions Rabin et moi à Washington a proféré de nouvelles menaces contre Shimon Peres et moi. A cause de cela, je pense même que nous devrions accélérer le rythme des négociations. C’est à mes yeux le seul moyen de répondre aux fanatiques.» 
RENÉ BACKMANN  
 
René Backmann  
 
Sources : Lien vers http://www.nouvelobs.com/dossiers/p2088/a255119.html>
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Modifié en dernier lieu le 16.11.2004
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